Nigéria
Lagos, vibrante mégalopole de 20 millions d’habitants et capitale économique du Nigeria, vit d’habitude dans le bruit, la sueur, la débrouille, le labeur, la fête, les klaxons et les embouteillages. Mais mardi, au premier jour de confinement total, la plus grande ville d’Afrique subsaharienne ressemblait à une ville fantôme.
Le président Muhammadu Buhari a pris tout le monde de court en annonçant dimanche soir une “restriction de tout mouvement” à partir de lundi 23 heures à Lagos et Abuja, la capitale fédérale, les deux centres urbains qui enregistrent la grande majorité des 135 cas officiels (dont deux morts) de coronavirus recensés dans le pays.
Lagos vit toujours sous le spectre d’Ebola, qui aurait pu être “une épidémie urbaine apocalyptique” en 2014 selon l’OMS, mais que les autorités ont réussi à limiter à 19 contaminations et 7 décès.
Alors, six ans plus tard, face au Covid-19, la ville s’est pliée aux obligations de confinement sans trop de protestation.
Mardi, Lagos s’est réveillée sous le chant des coqs, dans un silence assourdissant. Dans les quartiers résidentiels, on entendait le seul ronron des générateurs à diesel, qui continuent à palier les coupures d‘électricité dans les foyers les plus aisés.
Les eaux de la lagune étaient propres et calmes. Les ponts, autrefois impraticables, congestionnées de voitures et de vendeurs à la sauvette, étaient vides.
Sur l’autoroute dantesque qui relie Lagos à Abeokuta, capitale de l’Etat voisin d’Ogun, des enfants s’accaparaient les triples voies pour jouer au football.
Barrages de Police
A la frontière entre les deux Etats, les forces de sécurité ont dressé des barricades pour empêcher les véhicules de quitter Lagos.
De l’autre côté du check-point, au moins deux cents camions chargés de ciment appartenant au milliardaire nigérian Aliko Dangote sont à l’arrêt, en file indienne, interdits d’entrer dans Lagos.
“Nous avons reçu l’ordre de ne laisser passer que les denrées de première nécessité”, explique à l’AFP un agent de police, protégé par un masque et des gants.
La police, appuyée par de nombreuses agences de sécurité de l’Etat, inspecte les cartes d’identité des automobilistes avant de les autoriser ou non à traverser la frontière et prélève parfois au passage quelques milliers de nairas en guise de pot-de-vin.
Les agents de sécurité ont reçu l’ordre ce matin d’user de “la force” si les automobilistes ne se plient pas aux règles pour contrer la propagation du Covid-19 dans le pays.
“Les fournisseurs de nourriture, d’eau, les pharmaciens, les médecins, les journalistes peuvent passer”, explique l’un d’eux. “Pour l’instant, c’est calme. Les gens sont conciliants”.
Sur le grand axe routier de Lekki, quartier de la classe moyenne, les magasins de matelas, les échoppes de paris sportifs ou de cordonnerie, les églises, les vendeurs de fleurs, de ferrailles ou de tapis ont fermé leurs portes.
“On a faim”
Mais en s’enfonçant dans les plus petites rues populaires d’Ajah, la tension et la colère sont déjà palpables.
Ici, personne ou presque n’a d‘économies d’avance. On travaille la journée pour manger le soir.
La police est passée quelques heures auparavant pour disperser les derniers récalcitrants, mais quelques passants s’agglutinent toujours autour du “Mama Put” du quartier, où Margaret Ajeji prépare du poisson-chat fumé et des portions d’igname.
Il n‘était pas clair si ces mini-cuisines de rue étaient toujours autorisées. Pas clair non plus si les magasins d’alimentation pouvaient rester ouverts, car les clients n’ont en théorie pas le droit de se déplacer pour s’y rendre.
Pour l’instant, le “Mama Put” de Margaret est toujours toléré par les forces de l’ordre. “Mais personne n’a assez d’argent pour acheter quoique ce soit”, se désole la cuisinière, qui a dû quadrupler ses prix en quelques jours, face à la rupture d’approvisionnement des fournisseurs.
Son amie Tewole, elle, vend des sachets d’eau: seule source d’eau potable pour des millions de Nigérians. “Je n’en ai vendus que deux depuis ce matin”, explique la vieille dame, en pidgin, le créole nigérian. “J’ai 100 nairas (25 cts d’euros), c’est tout ce que j’ai pour nourrir les six enfants dont je m’occupe”, se lamente-t-elle, brandissant le billet imbibé de sueur.
“Si mes enfants tombent malades, je ne peux même pas les emmener à l’hôpital, il ne me reste que Dieu à prier”, confie Tewole, qui ne connaît ni son âge ni l’orthographe exacte de son nom.
“Vous savez, au Nigeria, déjà quand on travaille, on a faim”, interpelle Samuel Agber. “Alors imaginez si on ne travaille pas!”. Le jeune homme a dû interrompre ses études l’année dernière par manque d’argent, et travaille désormais comme réparateur de climatisation.
“On sait bien que le coronavirus s’attrape en se touchant, et qu’il faut restreindre les activités, mais alors, il faut nous donner de la nourriture”, s’indigne le jeune homme. “Nous sommes des êtres humains, nous avons besoin de manger”.
AFP
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